Tu l’as sûrement remarqué : chaque jour, des milliers de textes apparaissent, s’empilent puis disparaissent dans nos fils d’actualité. On ne lit plus, on consomme. On ne cherche plus à comprendre, on scrolle. Et peu à peu, quelque chose se perd : la densité du langage, la singularité d’une voix, la lenteur du regard. Et plus le temps passe, plus les mots se vident de leur substance.

Cette impression de trop-plein n’est pas qu’un ressenti. Le Digital News Report 2024 du Reuters Institute montre que près de quatre personnes sur dix évitent désormais les actualités parce qu’elles se sentent saturées ou désengagées face à l’avalanche d’informations. Le rapport évoque un sentiment d’“overwhelm” – autrement dit, d’épuisement. Cette fatigue mentale pousse à décrocher.
Dans le même esprit, plusieurs études récentes sur la surcharge informationnelle (Journal of Information Science, 2024) décrivent comment notre cerveau sature face à la quantité de contenus produits chaque jour, souvent sans hiérarchie ni respiration.
Nous sommes devenus des lecteurs épuisés. Et, pour certains d’entre nous, des créateurs sous tension : toujours incités à publier plus, à prouver qu’on existe par la fréquence. Il faut tenir un rythme frénétique pour nourrir les algorithmes, ces puit sans fond. Cette logique du flux pousse à produire pour exister.
Peu importe la qualité, tant qu’il y a du mouvement.
Le risque, c’est qu’à force de remplir, on vide : on vide le sens, la nuance, la voix.
Le règne du texte automatique
L’irruption de l’intelligence artificielle dans la production éditoriale a amplifié ce phénomène. Aujourd’hui, une IA peut générer un article, un billet de blog ou un post LinkedIn en quelques secondes.
Le résultat peut être impeccable sur la forme, tant qu’on ouvre l’œil. Car si ChatGPT gère très bien certaines tâches, et propose une syntaxe généralement fluide, mieux vaut veiller à la cohérence et à la clarté. En lui « serrant la vis » grâce à des prompts soignés, on peut obtenir un texte parfait… en apparence.
Car derrière cette perfection, il manque l’essentiel : une intention, un ton, un souffle.
Le Digital News Report 2024 souligne d’ailleurs la méfiance du public envers les contenus produits par IA, en particulier pour les sujets politiques ou sociétaux. Aux États-Unis, seuls 23 % des lecteurs se disent à l’aise avec des articles majoritairement rédigés par des machines, et à peine 10 % au Royaume-Uni. Ces chiffres révèlent une inquiétude croissante : celle de voir disparaître la présence humaine derrière les mots.
L’IA sait reformuler, condenser, optimiser. Mais elle ne sait pas douter, ni hésiter, ni se contredire.
Alors, certes : ces éléments peuvent produire des maladresses. Mais ces imperfections, ces rythmes irréguliers, ces intuitions parfois maladroites sont justement ce qui rend un texte vivant. C’est ce que ton lecteur cherche sans le formuler – et parfois même sans le savoir : le sentiment d’un regard, d’une personne derrière les phrases.
La tentation du vide
La standardisation du langage n’est pas seulement une question esthétique. C’est un enjeu culturel.
Quand tout le monde utilise les mêmes outils, les mêmes tournures, les mêmes modèles d’écriture, le discours se rétrécit. On ne lit plus des auteurs, on lit des formats. Et cette homogénéité progressive a un coût : elle efface la pensée lente, l’originalité, la subjectivité.
Tu pourrais te dire que ce n’est pas grave, que tout le monde fait pareil. Mais c’est justement là que se joue la résistance : ce qui devient rare, c’est ce qui devient précieux.
Dans un univers saturé de mots sans voix, un texte pensé, humain, habité, crée un contraste attirant.
Écrire lentement, refuser la cadence, choisir ses mots au lieu de les aligner, c’est déjà un acte de dissidence douce.
L’acte d’écrire comme geste de résistance
Écrire humainement, aujourd’hui, c’est refuser la logique du rendement. C’est choisir la sincérité contre la standardisation.
Dans un contexte où la vitesse est devenue une vertu, la lenteur devient politique. Le mouvement du slow content, popularisé en France et en Suisse ces dernières années, repose sur cette idée : produire moins, mais mieux. Offrir au lecteur une respiration, une narration, un ancrage.
Ce n’est pas un retour en arrière, ni une posture nostalgique. C’est une réinvention du métier d’écrire, ou du simple geste d’expression. Car résister, ce n’est pas rejeter la technologie, c’est l’utiliser avec conscience.
L’IA peut être un outil, un point de départ, une aide à la formulation. Mais le sens, le style, l’intention doivent rester humains. C’est cette part d’imprévisible, de fragile, d’émotionnel, que la machine ne peut pas reproduire.
Comment redevenir un.e auteur.e à part entière
Alors, comment retrouver cette authenticité ? Peut-être en commençant par ralentir. En te donnant le droit de ne pas publier aujourd’hui, si tu n’as rien à dire. En relisant au lieu de reformuler. En osant garder des tournures qui te ressemblent. En citant tes sources, en expliquant ton cheminement, même brièvement.
L’honnêteté, la transparence, la modestie : trois qualités peu valorisées dans le flux quotidien, et pourtant essentielles pour renouer la confiance.
Tu peux aussi décider de te fixer tes propres règles : une charte personnelle du contenu. Écrire moins souvent, mais avec intention. Valoriser la durée de vie d’un texte plutôt que sa performance immédiate. Chercher à transmettre plutôt qu’à plaire. Tout cela n’a rien d’anecdotique. C’est une forme d’éthique, une écologie du langage.
Ton écriture comme trace
Tu n’écris pas pour nourrir une machine. Tu écris pour quelqu’un.
Pour toi, en premier lieu. Car mine de rien, en réfléchissant à ton sujet, en lui donnant corps, tu structures aussi ta pensée. Et il y a fort à parier que cette réflexion te servira « dans la vraie vie » – puisqu’à l’heure actuelle, aucune IA ne nous souffle quoi dire dans une conversation !
Tu écris aussi pour une communauté, pour des personnes qui te lisent, mais que tu n’as jamais rencontrées. Ce lien-là, Stephen King le comparait à une forme de télépathie dans son fameux essai « Écriture : mémoire d’un métier ». Il est vrai que lorsque l’on se donne le temps d’y songer, il y a une certaine magie dans cette présence invisible entre toi et celui qui lit, qui ne se code pas et ne s’automatise pas.
Dans ce monde saturé de mots jetables, chaque phrase que tu pèses – ou que tu lances à la volée, au fil de tes pensées, chaque imperfection ou chaque silence que tu assumes, chaque métaphore que tu crées devient donc un petit acte de résistance. Et ces mots ne racontent pas une perfection artificielle, mais ils parlent de ton histoire… et bien souvent, aussi, de celle des personnes qui te lisent !
Sources
- Reuters Institute – Digital News Report 2024
- GlobalComms – Reuters Institute Digital News Report 2024 Summary
- Journal of Information Science – Information overload in the digital era (2024)
- Reuters – Global audiences suspicious of AI-powered newsrooms (16 juin 2024)
- Al Jazeera – Audiences suspicious of AI being used to create news (17 juin 2024)
- Le Monde – Pourquoi et comment nous utilisons l’intelligence artificielle générative (2024)
- Reporters Sans Frontières – Charte de Paris sur l’intelligence artificielle et le journalisme (2024)
- The Conversation France – Face à la surcharge d’informations, place au slow content
- Social Media Pro – Le slow content, c’est quoi ? (2024)
- Content Marketing Institute – Quality over quantity: the slow content movement (2024)
- Stephen King – Écriture : mémoire d’un métier (On Writing, Albin Michel, 2000)






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